Hier, j’ai parlé de ma première expérience théâtrale, il y a plus de 40 ans. Je l’avais oubliée. Pour ma première, nous avions, à deux avec Joël Vuillemin, rempli le théâtre à l’Italienne de Beaune. Le spectacle était simple, Joël chantait ses chansons et je jouais des scénettes entre les chansons. Il n’avait pas besoin réellement de moi, mais comme beaucoup d’artiste, il avait besoin de ne pas être seul sur scène pour son premier spectacle. Je n’avais pas conscience de la solitude du créateur. Je n’avais aucune envie de faire quoi que ce soit pour moi, mais j’admirais, et encore aujourd’hui, les créateurs, mais j’ai mis longtemps à me rendre compte qu’ils étaient fragiles, il n’est pas si facile de s’exposer, ce sont ceux-là qui me plaisaient ; les fragiles. Mais j’ai souvent été disponible pour accompagner leurs projets quitte à me mettre en “danger” sans le savoir comme je l’ai expliqué hier. Je n’estime pas être un héros pour autant, car je l’ai fait sans en avoir conscience. Je ne l’ai pas fait pour avoir un retour non plus, mais parce que la plupart du temps, je respectais quelque chose de l’autre, une amitié, un talent, un charisme ou un, je ne sais quoi qui me plaisait et le retour, c’était d’être dans le même projet juste d’être dans le projet. Mais parfois ça ne marche pas, l’équilibre est rompu, comme avec les personnes qui te pompent plus qu’il ne te laisse leurs donner et ça ne peut pas marcher comme ça. C’est du vol et c’est parfois si intime que cela pourrait même être du viol. Ce jour-là, le jour du spectacle, j’ai osé faire une des pires choses qu’un artiste puisse faire à son public et surtout à son comparse : ne pas venir le saluer, le snober. Le spectacle est un concept simple. Une ou plusieurs personnes préparent un ensemble de choses, donne un rendez-vous pour la présenter, les personnes écoutent et remercient puis chacun s’en retourne. Quand on est seul sur scène, c’est plus simple, on ne risque pas de gêner l’autre avec ses erreurs, mais quand on est plusieurs, il est d’une importance capitale de respecter l’autre et de faire ce qui est convenu. Bien entendu, on peut convenir de ne convenir de rien, mais cela doit être décidé ensemble. Je ne me suis rendu compte qu’hier soir qu’en ne venant pas saluer, j’avais dû mettre Joël dans l’embarras, Joël et les spectateurs. Les spectateurs avaient respecté la convention, ils avaient écouté, ils avaient apprécié le spectacle jusqu’au bout, ils avaient droit à exprimer eux aussi, comme convenu incidemment, leurs satisfactions. Ce n’est pas bien grave me direz vous, et j’ai vécu d’ailleurs pendant quarante ans avec ca. Sauf que si cela n’est pas grave, qu’est ce qui est grave ? La mort ? La maladie ? Non, je vous assure, ne pas respecter le plus petit contrat est grave, certes il n’y a pas eu mort d’homme, mais je me rends compte que j’ai vécu la période qui a suivi sans me rendre compte que dans la ville où je vivais normalement, j’étais aux yeux de certains celui qui n’est pas venu saluer, qu’importe si j’avais bien joué ou non, je n’avais pas salué. Et qui plus est, j’ai peut-être gaspillé non seulement ma carrière, mais peut-être surtout celle de Joël. Je tiens donc à m’excuser aujourd’hui, auprès de tout ceux que j’ai pu blesser ce jour-là, je ne suis pas venu vous saluer pour les raisons évoquées hier, elles ne valent sans doute pas grand-chose, mais tout ce que j’ai pour m’excuser. Je crois que c’est ce qui me diffère des vrais artistes, eux connaissent votre mansuétude, eux savent que vous êtes gré que les artistes vous sortent du quotidien et quand je dis vous, je devrai dire nous. Même si à titre perso, je n’ai aucune envie d’être sorti de mon quotidien qui me satisfait.
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