Catégorie : Contes

  • Erwarterteter Fortschritt *

    Erwarterteter Fortschritt *

    Version 2

    Le ciel est magnifique ce soir, pas un nuage, une lune magnifique, très nette, qui se laisse draguer par une Venus étincelante devant une myriade d’autres étoiles sans doute jalouses du spectacle offert par ces deux stars. À l’abri du vent, il fait doux pour l’époque. damné vent du nord. Il serait presque agréable d’être ici si ce n’était la douleur.

    J’ai toujours aimé regarder les étoiles dans le ciel. J’admire le travail fait il y a des milliers d’années pour donner un sens à ce fatras de lumières posées dans un désordre absolu et dans le but avoué d’éduquer ses semblables, qui pour la plupart s’en sont branlé et s’en branlent encore. Moi le premier. Je sais que cela existe, j’en connais quelques histoires, mais ce n’est pas cela qui m’intéresse dans le ciel. J’aime l’idée de l’infini, et c’est dans le ciel que je le vois le mieux. En regardant le ciel, mes pensées se libèrent partiellement : d’où me vient l’amour de l’infini ? Dans un livre, peut-être, mais lequel ? D’un ami, d’une connaissance ? Mais qui ? Du ciel lui-même ? C’est encore le plus plausible, mais difficile d’en être sûr… De ma famille ? Ma femme ? Mes enfants ? Je souris, j’ai essayé de leur apprendre, mais ils se sont toujours moqués de moi, de mes parents ? Non, ils ne pensaient qu’au travail et à l’argent, ce n’était pas facile pour eux, paix à leurs âmes, ni pour mes frères et sœurs. D’un coup, je me rends compte que je suis le dernier de cette génération, et même de la suivante. En remontant le fil du temps, j’oublie l’infini et les étoiles et je repense à la période de mes dix à quinze ans. Un de mes aînés, un arrière-arrière-grand-parent, je crois, habitait en face de chez mes parents. Il était si vieux qu’il ne bougeait plus de son lit et était l’objet d’admiration du village et de disputes de mes parents, de mes oncles et tantes pour savoir qui allait s’en occuper.

    Régulièrement, j’avais pour mission de passer voir s’il allait bien, je l’aimais bien, j’aimais bien les histoires qu’il me racontait quand j’étais plus jeune encore. Il avait la fâcheuse habitude de fumer des cigarillos, mais de les fumer à l’envers. Le bout allumé dans la bouche. Il a dû me dire pourquoi, mais j’ai oublié. Mais je me souviens que cela agaçait ma mère, son arrière-petite-bru, qui en détestait l’odeur. Si elle avait su qu’il me demandait de les allumer car il n’arrivait plus à faire fonctionner son briquet à essence et qu’il refusait les briquets à gaz et les allumettes. « Puzza », disait-il en bougonnant et en se pinçant le nez. Je me souviens que j’ai passé des heures à écouter ses histoires jusqu’à l’école secondaire. Cela arrangeait bien ma mère à l’époque : elle n’avait pas à me chercher, elle savait que j’étais la plupart du temps là, à coté du lit gigantesque de mon aïeul, à dessiner, écrire, rêver dans la pénombre et l’odeur des cigarillos. Bon dieu, je me souviens qu’il est mort quelques mois avant ses cent ans. Ce qui avait pourri la fête que la commune envisageait de faire en son honneur. Je revois encore des officiels venir lui crier « tenez bon, l’ancien, nous allons vous faire une belle fête », et lui, pour les agacer, répondait « hein ? » comme s’il était sourd. Nous en riions après leur départ et il me disait : « C’est maintenant que tu dois faire la fête, parce qu’à mon âge, on s’en fout », et mon père : « Allons, papy, cela va être une jolie fête. » Je crois qu’il avait envie, lui aussi, de voir sa famille à l’honneur.

    Merde. Je ne dois pas bouger, pas m’agiter, le moindre mouvement me déchire le cerveau. Pourquoi je suis passé par là, je sais pertinemment que c’est plus rapide, mais plus dangereux. Tant pis, rien que d’y penser, je réveille les douleurs. Je dois rêver. Respirer doucement et oublier le présent. Oublier ce corps douloureux. Oublier. Ailleurs. Dans l’univers global. Faire un avec l’environnement. Salut Papy, Je t’ai dépassé de peu, mais je t’ai dépassé. Personne n’a fait la fête pour moi. Le village est abandonné. Et, je vais à la ville le moins souvent possible. J’ai eu 100 ans il y a 4 mois, tu es parti quelques mois avant les tiens. Mais, quand même, je pense que j’aurais pu exploser ton score, si je n’avais pas voulu faire le fou en passant par les passages des 3 sources. Je sais qu’il est glissant. Mais cela fait presque deux mois qu’il fait gris, moche et humide, j’ai bien cru que j’allais y passer, mais depuis deux jours, les nuages ont été balayés par le vent du nord, ce maudit vent du nord qui efface les nuages, créant l’illusion du printemps, mais qui gèle tout ce qu’il touche. Ce matin, j’ai eu le courage d’aller voir si je trouvais des champignons dans la forêt qui se trouve derrière le passage. Ce n’est pas si loin et je peux encore y aller en faisant le tour, mais, en revenant avec mon panier de champignons, j’ai eu envie de voir l’état des trois sources : L’eau de celle qui traverse le chemin a le goût de la pierre, un goût minéral. Merci. Papy C’est toi qui me l’avait fait remarquer antan. Je n’étais pas venu depuis des années et j’aurais pu m’en passer encore aujourd’hui. Aïe, pas de regret ; respire, calme : l’eau t’a fait le plus grand bien. Tu le sens, le sac de champignon ? C’est bien lui qui est posé sous ton bras… Doucement, prends-en un et mâche-le doucement. Ahhhh quelle douleur atroce. Mais bordel, je vais sans doute crever ici, autant me faire plaisir. Le goût du champignon, ce goût de terre, ce mousse. La nature, c’est elle qui m’a fait tenir ces dernières années. Elle et les quelques marcheurs qui se perdaient et traversaient le village étaient étonnés de trouver quelqu’un encore debout. Je dois être dans des albums de photos du monde entier. Sourire. Plus jeune, j’en ai fait des tours sur notre monde. Je suis fier de ma vie, j’ai passé mes vingt premières et vingt dernières années ici. J’en suis le produit ultime. J’ai peu de chances que l’on me trouve avant quelques mois, et qu’est -ce que cela change, ici ou ailleurs ? J’espère juste ne pas trop souffrir. Petit à petit, mon corps va se mêler à la terre et ainsi je lui rendrai un peu de ce qu’elle m’a apporté. Je ne regrette rien, ma femme est morte un peu avant mes enfants. Puis j’ai vu partir la plupart de mes petits-enfants, puis j’ai décidé de revenir ici. Parfois, un de mes arrière-petits-enfants se rappelle de moi, mais nous sommes des inconnus les uns pour les autres… J’espère qu’ils sont heureux. Moi, je le suis même maintenant où le moindre mouvement est une souffrance. Je n’avais pas fait attention, mais la nuit est tombée, et la lune s’est levée, accompagnée de Vénus. Je me plonge dans l’espace en mâchouillant des champignons, les arbres autour coupent le vent, la terre est exceptionnellement chaude, une chouette hulule au loin, les branches craquent et j’alterne entre rêve et réalité, les champignons sont un miracle.

    Je suis à Buenos Aires juste après la guerre, j’habite la maison d’un cordonnier, Attila, qui m’héberge et m’apprend le métier, je suis arrivé ici par un énorme cargo en tant que marin.

    Après la guerre, la tête pleine d’horreurs, j’étais retourné dans mon village, j’étais perdu. En Espagne, la dictature était restée en place et nos horizons étaient étroits. À la ville voisine, un pêcheur avait besoin d’un commis. Je lui plus, nous partîmes avec son équipe faire des pêches lointaines. Un jour dans un port français, j’entendis parler d’un cargo qui recrutait un aide-cuisinier pour aller en Argentine. Je ne connaissais pas réellement, mais le nom faisait rêver. Ils m’engagèrent. Les adieux avec mon patron furent l’occasion d’une beuverie de marin mémorable, je fis le premier jour de voyage dans le coma. Les voyages en cargo sont longs, monotones et encore plus longs. J’ai épluché tellement de légumes, ouvert tellement de boîtes, mais déjà le soir et le ciel, les pauses et l’océan, les baleines, les dauphins et autres animaux que je ne connaissais pas me fascinaient. Le voyage devait durer trois semaines, mais, suite à une avarie, nous restâmes cinq semaines en mer. Et le seul divertissement de l’équipe était les combats. Pas de gros gabarits, mais des vicieux, des nerveux. J’ai perdu deux dents et je porte encore une cicatrice à l’arcade. J’ai appris à me battre sur le bateau et pendant les vingt ans qui ont suivi, j’ai gagné quelques combats, mais j’en ai perdu aussi beaucoup. La vie était simple. je me levais tôt, je vérifiais mes blessures, j’allais à la cambuse, À la pause de l’après-midi, je me posais sur le pont avant de retourner à la cambuse ; puis, le soir, une fois le local propre, je passais me changer et nous nous retrouvions sur le pont pour picoler et nous battre. Quand il pleuvait, ce qui était rare, nous jouions aux cartes. Perso, je préférais aller lire dans ma chambre. Je me suis endurci en peu de temps. J’ai oublié ma Gallice et la guerre en entamant ma nouvelle vie. Mais je fus soulagé d’arriver à Buenos Aires, le manque de femmes commençait à rendre les marins violents et en même temps mélancoliques. Les deux semaines supplémentaires commençaient à nous marquer. Je pris ma paye et je m’enfonçai dans la ville, jusqu’à un quartier populaire où je trouvai facilement un petit logement. Et je bus, je bus pendant un mois, je passais de bar en bar, de bagarre en bagarre et de femme en femme, et le tout en jouant, en riant et en me moquant de la vie et des gens sérieux. J’étais jeune et les marques des coups plaisaient. Un soir plus violent qu’un autre, j’avais dû en agacer un ou m’attacher à celle qu’il ne fallait pas, je pris un mauvais coup et je sombrai dans le néant. Il me transportèrent je ne sais comment et me balancèrent ou ils purent. Je me réveillai quelques jours plus tard dans une chambre chez Attila, le cordonnier, dans un quartier aux confins de la ville. Ses filles m’avaient trouvé sur le trottoir devant la boutique en allant à l’école. Ne sachant pas quoi faire de moi, ils me montèrent avec difficulté dans la chambre et, avec l’aide d’un médecin, ils me soignèrent. Une dizaine de après, je fus sur pied et une nouvelle vie pouvait commencer pour moi.

    Version 1 le 04/05/2025

  • Le conte du jour : Alice

    Le conte du jour : Alice

    Laissez-moi vous conter l’histoire d’Alice.

    Alice est une jeune fille, plutôt sage, aimant être avec ses amis, sans être jamais complètement là. Alice aime jouer, mais elle aime aussi beaucoup regarder les autres jouer. Elle aime se poser sur un banc et les regarder avec un sourire de satisfaction comme si elle jouait avec eux à distance. Elle doit avoir entre seize et dix-sept ans, donc elle est déjà courtisée, mais elle n’a toujours pas été conquise, dans les deux sens du terme. C’est un peu comme si elle n’avait pas conscience de son corps. Elle a un rire discret et cristallin, qui ressemble au rire de quelqu’un qui n’a pas compris la blague mais qui voudrait faire plaisir. La vérité : la plupart du temps, elle comprend la mécanique de la blague, mais pas sa drôlerie. Bref, Alice est une petite curiosité. 

    Une des choses qui fascine Alice est la grande porte fermée à la sortie de la ville. C’est une grande porte en bois séculaire, souvent fermée, mais toujours imposante. Ce qui la fascine, ce sont les mystères qui se trouvent derrière…

    Mais il est temps de vous faire une aparté (ou un aparté, je n’ai jamais su) et de situer l’action : Le village d’Alice est un petit village, à peine une poignée de milliers de personnes. C’est un village moderne au style moyenâgeux, avec des maisons en pierre et de toutes petites fenêtres, car, comme vous le savez, à l’époque le verre coûtait cher, au moins aussi cher qu’il était dur de chauffer des maisons en pierre en hiver et de les rafraîchir en été. Chaque maison contient une boutique ou un atelier qui donne sur la rue et une arrière-cour avec un potager, les habitations se situant aux premier et parfois second étages, le tout surmonté d’un toit et d’une terrasse. Le climat est doux et agréable, la plupart du temps, avec des hivers courts mais glaciaux et des étés tout aussi courts mais brûlants. Évidemment, en été, le froid hivernal est regretté, quand en été la chaleur estivale est redoutée. Le reste du temps, il fait à peine trop chaud ou à peine trop froid et les villageois alternent tranquillement entre les deux jusqu’aux saisons ardues. Comme dans tous les villages, le jour du marché est le jour des rencontres, le jour où les cultivateurs et les éleveurs qui sont situés à l’extérieur de la ville viennent rencontrer et échanger avec les commerçants et les artisans sur la grande place centrale du village. Alice et ses parents habitent à proximité de la place principale. Son père est couturier et sa mère est tisserande. Il est rare que les deux parents aient un métier différent, mais c’est ainsi et cela n’a aucune importance dans cette histoire, mais je tenais à le dire. Ce qu’ils font est apprécié et ils sont donc aisés, mais pas trop, ils sont dans la moyenne haute du village. Alice a tout pour être heureuse, je ne parle pas bien évidemment de ses deux frères et de sa sœur qu’elle trouve parfois un peu teigne avec elle. Alice a tout pour être heureuse juste parce qu’elle ne connaît pas le malheur. Mais, finalement, elle ne semble pas plus heureuse que ça. À quoi cela tient ? Mystère. Toujours est-il que le soir après le marché, quelque soit le temps et donc la saison, c’est le soir de la fête et le soir des histoires. En effet, un peu avant la tombée de la nuit, les villageois, leurs invités et les saltimbanques s’apprêtent, qui dans sa chambre, qui dans sa caravane. Les musiciens sortent leurs instruments et certains, leurs beaux costumes, et tous se retrouvent sur la place du village pour jouer, chanter, danser et écouter des histoires. Et Alice adore les histoires, c’est bien la seule chose qui semble la rendre vivante. Ses yeux se mettent à pétiller, et elle ne met jamais autant d’entrain à se préparer.

    Il y a une histoire qu’elle adore par-dessus tout et depuis des années, c’est l’histoire de “l’arbre monde”. L’histoire d’un arbre au milieu de nulle part dans lequel il y a un village. Ce village ignore s’il est le seul de l’arbre et même qu’il est situé dans un arbre, car personne ne s’est jamais posé la question. Toujours est-il que dans ce village qui semble isolé, il y a une jeune femme, à laquelle Alice s’identifie, qui se pose des questions et comme ses voisins disent, “bien trop de questions” et pour trouver des réponses, la jeune femme décide un jour d’aller explorer le monde et de voir s’ils sont seuls. 

    Donc un beau jour de printemps, un peu avant l’aube, classique, elle prépare son baluchon et s’en va. Simplement et naturellement. Elle passe la grande porte du village silencieux et se met en route d’un bon pas. Tout au long de la matinée, elle traverse des lieux qu’elle reconnaît, mais bien évidemment, plus elle avance et moins le paysage lui semble familier. Arrivée à ce que son estomac lui signale être midi, elle décide de se poser au bord de la forêt. L’histoire étant située sur l’arbre-monde, ce n’est bien évidemment pas une forêt comme nous l’imaginons, mais par facilité, c’est ainsi que nous la nommerons malgré tout. Elle a passé une bonne partie de la matinée à monter, car cette forêt est un peu en surplomb. Elle est à son sommet et l’après-midi devrait être moins éprouvant ; elle voit le chemin se perdre sans réelles difficultés, mais elle sait que cela sera long et qu’il y aura des surprises. Les habitants ont fait un petit promontoire qui permet de voir tout au loin, au fond de la vallée, son village, tout petit. Elle fait une pause d’une petite heure en regardant son village en contrebas, en observant le paysage autour d’elle, en se délectant de son repas, de la vue et des odeurs. Puis elle reprend sa marche. une bonne partie de l’après-midi sans encombre notable, mais avec, déjà, parfois des doutes sur la stupidité de son aventure.

    Elle se rend compte que la nuit arrive et qu’elle n’a rencontré personne depuis sa pause, et aussi que le chemin, bien qu’encore visible, est de plus en plus « effacé ». Elle s’inquiète un peu, surtout que, depuis peu, elle entend un bruit étrange ; sur le coup, elle pense que c’est son imagination qui lui joue des tours. Elle avance de plus en plus doucement et commence à regretter son voyage, mais elle continue, balançant entre l’espoir de rencontrer quelqu’un d’aimable qui lui donnerait l’asile pour la nuit et la peur de l’inconnu qui fait peur en soi. 

    Au détour du chemin, juste derrière un arbre énorme, elle tombe face à une scène surprenante. Devant elle, un ours nu fier et gigantesque dormant profondément sur une chaise à bascule. Elle reste abasourdie par l’orgueil de cet ours avant de se rendre compte que c’est juste un homme, velu certes, mais un homme. Elle n’avait vu que son jeune frère et elle-même nu, et force lui est de constater quelques disparités entre sa mémoire et la réalité.

    Alors lui revenaient en tête les histoires que les femmes racontaient quand elles étaient entre elles : les monstres de la forêt, les monstres qui ravissent les jeunes femmes et les rendent folles. Souvent, elles riaient en prononçant le mot « monstre », et paradoxalement, leurs rires lui faisaient peur. Elle regarde ce monstre poilu en se souvenant des histoires qui, à l’époque, lui semblaient farfelues et surtout incompréhensibles. Elle est réglée et sa mère a bien tenté de lui expliquer, mais elle refusait d’écouter et surtout de comprendre. De plus, elle entendait bien ses amies dire des choses, mais cela ne l’intéressait pas plus. Elle était loin de ce matérialisme, elle préférait les livres et les histoires.

    Il bouge. 

    Elle a peur et elle s’évanouit.     

    Revenant à elle, elle le voit penché sur elle, un verre d’eau à la main. Il n’est, bien évidemment, plus nu, mais habillé de façon “rustique”, certes, mais semble propre. Son visage est couvert d’une barbe qui semble douce et met en valeur ses yeux qui passent rapidement de l’inquiétude à la joie de la voir revenir à elle aussi rapidement.

    “Bonjour, vous avez soif ?”

    « Oui, merci », dit-elle sans réfléchir. 

    “ Tenez, prenez votre temps. ” 

    Alice but tranquillement. Pendant ce temps, il se présenta d’une voix douce pour un corps si… comment dire, si… la voix l’ensorcelle et elle repense aux histoires, elle frissonne… 

    “Vous avez froid ?”

    « un peu »

    «Ne bougez pas, je vais chercher une couverture. »

    Elle le regarde partir en terminant son verre. Il a une démarche lourde et il est vraiment imposant. Il revient rapidement avec une épaisse couverture à carreaux défraîchie, qu’il pose sur elle. 

    « Vous avez l’air fatiguée ! » 

    Elle raconte partiellement son aventure du jour. 

    Il lui répond que c’est bien courageux, mais dangereux aussi, de partir comme ça, qu’ils vivent sur un arbre-monde, ce qu’elle ignorait, et que sur cet arbre, peu de gens le savent, mais plus nous nous éloignons du cœur de l’arbre, plus nous devenons petits ; il est donc impossible d’arriver au bout de l’arbre. Et en plus, au-delà de la forêt où ils se trouvent, il n’y a qu’une clairière de plus en plus aride et désertique dont les gens reviennent épuisés… quand ils reviennent. Il voit son regard devenir triste.   

    Ohhh, je suis désolé, je n’aurais pas dû vous dire tout cela, mais je suis trop souvent seul ici, et quand j’ai l’occasion de parler, j’ai du mal à m’arrêter. En tout état de cause, vous pourrez poursuivre votre voyage, et si vous le souhaitez, je pourrai même vous accompagner un peu, mais je devrai revenir garder les lieux au cas où quelqu’un se perdrait, c’est ma mission. « Vous avez faim ? », conclut-il. Il l’aide à se lever et ils se dirigent vers la maison en babillant. Quand la porte s’ouvre, elle est conquise et se laisse posséder, non sans une petite appréhension.

    Elle se réveille avant l’aube en pleine forme, s’habille rapidement. C’est étrange, tout est pareil, mais tout est différent. Elle prend, vole ?, quelques provisions dans le garde-manger et écrit un petit mot :“Je continue mon chemin, mais sans doute nous reverrons-nous un jour.”          

    Elle marche une bonne heure avant d’arriver à la dernière arche, c’est ainsi qu’il l’a appelée : deux pieds en bois sur deux socles en pierre d’un peu plus de deux mètres de haut espacés de deux mètres de large. Les bois sont envahis par des lierres qui se rejoignent au sommet. C’est simple et beau. De l’autre côté de l’arche, une gigantesque plaine infinie. Elle sait qu’aussi loin qu’il est allé – il avait dit une journée de marche, mais il lui faudrait sans doute plus –, donc aussi loin, il y a de quoi se nourrir et s’hydrater, mais… Elle regarde le paysage quelques minutes, s’interroge sans conviction et se lance à l’aventure.

    À ce point les histoires qu’Alice écoutait divergent en fonction de qui les raconte. Certaines la faisaient disparaître dans la prairie après diverses aventures parfois abracadabrantesques, d’autres la faisaient revenir en plus ou moins mauvais état, il y a même une fois où un conteur raconta qu’après trois jours de marche sans personne, la jeune femme rencontra une tribu ancienne et qu’elle en revint quelques années plus tard avec deux enfants, un à elle et un autre adoptif et que l’ours l’attendait et qu’ils se marièrent et vécurent heureux et blah blah, mais l’histoire qu’Alice entendit ce soir-là eut la bonne idée de s’arrêter à l’arche. Et ce soir-là, Alice rêveuse comprit une chose : demain elle partira avec les saltimbanques et elle aussi vivra en racontant cette histoire. D’ailleurs, l’histoire d’un vieil homme tombé dans un ravin et regardant le ciel lui venait déjà à l’esprit…